Retour à Reims [Fragments]

 

Morceaux choisis de l'histoire ouvrière, collective ou intime, depuis 1950, d'après le livre de Didier Eribon.

Ramener aux dimensions d’un film d'une heure et demie Retour à Reims, texte éclaté de Didier Eribon autour d'une honte sociale, qui passe allègrement d'une époque, d'un personnage et d'une thématique à l'autre, supposait de le trahir en assumant des choix. En l'occurrence, écarter tout ce qui, dans le livre à succès du sociologue et philosophe, avait précisément trait à la personne de l’auteur - de la question homosexuelle à celle du transfert de classe constitutives de son histoire. Le réalisateur Jean-Gabriel Périot s'est ainsi concentré sur l'histoire ouvrière, à travers la figure de la mère d'Eribon, qui le touchait plus particulièrement. Il a aussi rétabli un fil chronologique et procédé à un montage très synthé tique de certaines de ses phrases. Le résultat est remarquable. Sur ces « fragments », dits par l'actrice Adèle Haenel, le cinéaste d’Une jeunesse allemande (sur la Fraction Armée rouge) et de Nos défaites (autour de lycéens d'aujourd'hui et de leur rapport à la politique) appose des images d'archives avec lesquelles les mots dialoguent ou se mettent en tension. Le film élargit le propos de Retour à Reims, en lui associant une variété de représentations de l'histoire ouvrière du courant des années 1950 à nos jours : plans d'actualités et bribes de reportage, de documentaire ou de fiction. Croisant les histoires collective et intime comme le réel et l'imaginaire, Retour à Reims [Fragments] vaut pour l'audace et la pertinence de son projet, comme pour l'aboutissement de sa réalisation. L'œuvre de l'un des rares documentaristes à ne pas sacrifier le cinéma à la prégnance du propos politique qui traverse son film.

 

François Ekchaizer
Télérama
30 mars 2022